Le Prix allemand pour l’Afrique 2023 a été décerné à la plateforme « 1ère Convention Nationale des Femmes pour la Paix au Cameroun ».
La plateforme des femmes pour la paix « 1ère Convention Nationale des Femmes pour la Paix au Cameroun » a reçu cette année le Prix allemand pour l’Afrique, récompensant sa contribution significative à la résolution des conflits et son travail pionnier de promotion du dialogue pour la paix et la réconciliation au Cameroun. C’est la toute première fois qu’un collectif reçoit cette prestigieuse distinction. Avec plus de 1500 femmes issues des 10 régions et 58 arrondissements du pays, la plateforme incarne un regroupement unique en son genre qui encourage la paix et le dialogue et est une source d’inspiration non seulement pour les femmes camerounaises, mais aussi pour le reste du continent africain et pour le monde.
Depuis des années, la situation sécuritaire au Cameroun est tendue : dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, différents groupes séparatistes combattent depuis 2017 contre l’armée gouvernementale dans la crise dite « anglophone » pour une « Ambazonie » indépendante. Dans la région de l’Extrême-Nord, Boko Haram commet depuis 2014 des attaques meurtrières et des enlèvements. Et dans la région de l’Est, les rebelles Seleka de la République centrafricaine voisine commettent des crimes violents contre la société civile.
Ces trois conflits armés sont responsables d’environ deux millions de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les femmes et les enfants font souvent partie des victimes et sont particulièrement touchés par les conséquences des affrontements. Néanmoins – ou justement pour cette raison – les femmes sont les premières à apporter leur aide aux victimes traumatisées et à leurs proches dans les régions concernées, à accueillir les fugitifs et à faire office de médiatrices entre les groupes armés et l’armée. Pourtant, les femmes sont largement exclues des négociations de paix officielles. Par exemple, les délégations lors des tentatives de négociations entre le gouvernement et les séparatistes en 2020 étaient exclusivement composées d’hommes.
C’est à cette situation que la plateforme des femmes pour la paix veut remédier. En juillet 2021, 1.500 femmes de toutes les régions du pays se sont réunies pour partager leurs expériences et chercher ensemble des solutions aux conflits de leur pays. Après trois jours d’échanges, des militantes pour la paix, des victimes de guerre, des soldates, des employées de maison, des policières, des étudiantes, des professeures, des femmes des marchés et des avocates ont adopté un « Appel des femmes pour la paix » commun, qui a été remis au gouvernement. Il contenait des revendications pour un cessez-le-feu immédiat, une reprise immédiate du dialogue entre le gouvernement et les séparatistes, une implication des femmes en tant que médiatrices de paix, le renforcement des centres de désarmement, de démobilisation et de réinsertion, ainsi que la création de centres d’assistance psychosociale pour les victimes de violences. Par la suite, la convention a donné naissance à la plateforme du même nom, qui comptait alors 38 organisations membres. Aujourd’hui, ce sont 80 organisations qui effectuent un travail important dans les 10 régions du Cameroun, notamment auprès des personnes déplacées, pour la protection des enfants, pour l’éducation – y compris dans les zones de conflit – ou encore contre les violences basées sur le genre.
Les femmes sont aussi impliquées au sein même de la plateforme, qui a des structures démocratiquement élues, comme le comité de pilotage tournant et le conseil des sages, dans lesquelles les régions sont toujours représentées de manière paritaire. En septembre 2022, la plateforme a organisé une simulation de négociations de paix pour les trois grands conflits du pays. Des observateurs et observatrices d’organisations internationales, mais aussi du gouvernement et de la politique camerounaise, y ont été invités ; des leaders séparatistes de la diaspora ont également participé en ligne, par vidéo. Au sein de trois comités régionaux, les femmes ont négocié un accord de paix pour chaque conflit et un traité de paix des femmes reliant les régions en conflit. Traité qui a ensuite été remis au gouvernement.
La « 1ère Convention Nationale des Femmes pour la Paix au Cameroun » reste ainsi la seule initiative acceptée par tous les acteurs du conflit, continuant à miser sur le dialogue, la négociation et la réconciliation tout en promouvant l’égalité sociale et la participation politique des femmes.
Ce faisant, les femmes agissent non seulement dans un environnement extrêmement hostile et dangereux – la majorité d’entre elles ont elles-mêmes subi des violences et sont en outre exposées à des dangers quotidiens pour leur propre vie et celle de leur famille en raison du travail qu’elles effectuent au sein de leurs organisations – mais elles doivent également faire face à leurs propres différences, qui peuvent sembler insurmontables au vu de leurs différentes expériences de conflit et de leurs origines culturelles, économiques et politiques, et les surmonter pour atteindre leur objectif commun.
Le succès de cette démarche fait de la plateforme des femmes un exemple brillant d’approche de résolution des conflits, qui pourrait être appliquée à de nombreux autres conflits dans le monde.
Le courage et la détermination de poursuivre le dialogue et le travail de paix malgré toutes les menaces, les obstacles et les conditions difficiles sont le fait des personnes les plus touchées par les conflits : les femmes.
Le fait que les femmes doivent être activement impliquées dans la résolution des conflits est connu depuis la résolution 1325 de l’ONU. La 1ère Convention des Femmes pour la Paix au Cameroun montre dans la pratique à quoi peut ressembler cette implication et, par conséquent, des solutions durables aux situations de conflit.
Le Prix allemand pour l’Afrique 2023 a été remis le 30 novembre 2023 à Berlin aux trois représentantes de la Plateforme des femmes pour la paix : Sally Mboumien, rapporteuse spéciale pour les violences basées sur le genre, Esther Omam et Marthe Wandou, toutes deux membres du Conseil des Sages.
Sally Mboumien est la fondatrice et la directrice générale de l’organisation Common Action for Gender Development (COMAGEND), qui œuvre à la réalisation des droits des femmes et des filles en matière de santé sexuelle et reproductive. Elle est également coordinatrice générale de la South-West/North-West Women’s Taskforce (SNWOT), une coalition visant à mettre fin au conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. Elle est aussi la représentante des femmes au sein du Comité national de Pilotage du Plan présidentiel pour la Reconstruction des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Esther Omam travaille depuis une vingtaine d’années dans la coopération et l’aide humanitaire au Cameroun, notamment dans la région du Sud-Ouest du pays. Elle a négocié l’accès humanitaire à certaines des régions les plus reculées et les plus dangereuses de la crise anglophone. En 2019, elle a réussi à convaincre les chefs de groupes armés non étatiques de lever une interdiction de scolarisation de trois ans. Esther Omam a notamment travaillé pour les Nations unies, a occupé des postes à responsabilité dans des organisations de la société civile et est membre d’un réseau qui rassemble des femmes ayant un large éventail de connaissances et d’expériences en matière de médiation. Elle est également directrice de l’organisation non gouvernementale Reach Out Cameroon et membre du Conseil des Sages au sein de la plateforme des femmes.
Marthe Wandou se consacre depuis bientôt 30 ans à la lutte pour les droits des femmes et des enfants dans la région de l’Extrême-Nord. Elle est la fondatrice de l’association ALDEPA (Action locale pour le développement participatif et autogéré) dans l’Extrême-Nord du Cameroun et dans la région du lac Tchad. Elle est l’une des lauréates du Right Livelihood Award 2021, le « prix Nobel alternatif ». Elle a reçu ce prix pour avoir « créé un modèle de protection communautaire des enfants face aux attaques terroristes et à la violence sexiste dans la région du lac Tchad », qui a déjà bénéficié à plus de 50 000 filles. Elle est actuellement membre du Conseil des Sages de la plateforme des femmes pour la paix.
Depuis 1993, la Fondation allemande pour l’Afrique (DAS) honore, avec le Prix allemand pour l’Afrique, des personnalités exceptionnelles du continent africain qui s’engagent pour la démocratie, la paix, les droits de l’homme, le développement durable, la recherche, l’art et la culture et les questions sociales en Afrique. Les lauréats sont sélectionnés chaque année par un jury indépendant de 20 personnes, présidé par Claus Stäcker, directeur des programmes africains de la DW. La remise des prix est effectuée par des hommes et femmes politiques allemands de haut rang, comme récemment le chancelier Olaf Scholz, devant environ 300 invités issus du monde politique, économique et de la société civile. La DAS est une fondation non partisane qui s’engage pour la mise en œuvre réussie des lignes directrices de la politique africaine du gouvernement fédéral allemand. L’une de ses tâches principales consiste en outre à transmettre une image différenciée de l’Afrique dans l’espace politique et l’opinion publique allemande.
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